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LASZLO MOHOLY-NAGY
PHOTOGRAMME
1926
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ALVIN LANGDON COBURN
THE OCTOPUS, NEW YORK
1912
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RIEJA VAN AART
Untitled
2006
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Le XIXe siècle voit naître la photographie et va connaître un nombre d'inventions inégalé dans ce domaine. Plus de 450 brevets seront déposés en quelques décennies, pour beaucoup résultants d'expérimentations de chercheurs isolés. Certaines inventions se feront simultanément dans plusieurs pays sans que leurs auteurs n'aient eu connaissance du travail de leurs confrères, un fait qui rend parfois difficile l'écriture de l'histoire du médium. En 1888 George Eastman associe une émulsion argentique et un support souple de rhodoïd sur papier. Il invente le film en bobine mais surtout il invente, en créant la société Kodak, l'industrie photographique. Son idée : rendre la photographie accessible au plus grand nombre. Nul de contestera les mérites de ce choix. Le passage de la photographie à un statut de marché de masse va permettre des avancées techniques qui contribueront largement aux développements du médium et dont bénéficieront tous ses utilisateurs. Mais comme tout passage de l'artisanat (certains diront du bricolage) à l'industrie, il aura des effets secondaires dévastateurs.
Peu importe que la motivation d'Eastman ait été humaniste ou mercantile, le rouleau compresseur de cette démocratisation va rapidement laminer le formidable élan qui jusque là avait animé une foule de petits inventeurs géniaux et isolés, en leur fermant les portes d'une possible reconnaissance. La photographie ne sera plus aux yeux du public une source d'émerveillement mais un moyen de pérenniser grands et petits évènements du quotidien. Cette fonction de documentation va devenir la seule définition acceptable et acceptée de la photographie. Le médium se trouve dès ce jour réduit à une "collecte d'instants". Le terme même de photographe ne va plus désigner que celui qui capture l'événement laissant à l'écart les artistes qui ont choisi cette technique pour s'exprimer. La « photographie d'art » se voit encore aujourd'hui contester le statut de Photographie par certains théoriciens du médium. En 1913, le photographe Alvin Langdon Coburn écrivait déjà :
"
pourquoi l'artiste photographe ne pourrait-il pas se dissocier des conventions éculées qui, dans sa comparativement courte existence, ont commencé à figer et restreindre son médium, et revendiquer la liberté d'expression dont toute forme d'art doit jouir pour sa survie ?" (1)
Un siècle plus tard les photographes plasticiens sont toujours exclus ou marginalisés par certaines manifestations prétendument représentatives de la photographie.
Or nous sommes aujourd'hui à nouveau face à un choix qui n'ai pas sans rappeler les changements apportés à la photographie en 1888. L'avènement de la photographie numérique grand public va à nouveau modifier la définition commune du terme "photographie". Le coût pratiquement nul de chaque capture, la facilité d'utilisation et d'altération à posteriori, la profusion d'images produites, leur pérennité incertaine, la notion d'image réussie ou ratée, vont fondamentalement changer la fonction du médium.
L'utilisation par les médias de photos d'amateurs, en lieux et place de photos produites pas des reporters professionnels, eux seuls tenus de respecter des règles d'éthique, est l'un des signes avant coureurs de certains des changements à venir.
La disparition de l'accès aux produits argentiques, notamment des produits chimiques nécessaires, entérine la dépendance totale et définitive de la photographie aux lois du marché.
Or le rôle des professionnels, et autres praticiens engagés, est de maintenir, voire d'élever, le niveau d'exigence lié à leur moyen d'expression. L'alternative démocratique est de permettre aux amateurs et au public de devenir eux aussi plus exigeants.
On ne peut pas demander aux industriels, de George Eastman à Bill Gates, quelque soit leur secteur d'activité, de favoriser le travail d'une minorité de créateurs au dépend du grand public. Les règles économiques donnent raison à leurs choix et certains de leurs confrères, Henry Ford entre autres, sont bien connus pour ne pas avoir été des humanistes.
Mais l'Utopie Démocratique ne peut survivre qu'à la condition que la population entière soit informée, éduquée et puisse avoir facilement accès au travail de ceux qui repoussent les limites, qui ouvrent des portes inconnues, tracent de nouveaux chemins et élargissent nos horizons.
Cette responsabilité incombe en priorité aux pouvoirs publics et aux médias, à conditions que ces derniers n'aient pas choisis d'être soumis aux dictats des annonceurs à qui ils fournissent de l'espace de communication. Mais les industriels (souvent les annonceurs pré-cités) peuvent eux aussi intervenir pour qu'industrie et photographie (et l'expression artistique en général) s'épanouissent parallèlement. Ils doivent soutenir les initiatives qui favorisent un plus grand accès du public aux uvres des « explorateurs de l'art ».
A cette seule condition, la photographie ne pourra plus être réduite à quelques définitions simplistes et deviendra enfin un véritable moyen d'expression et d'épanouissement pour chacun et pour tous.
(1) dans le catalogue de son exposition à la Goupil Gallery de Londres, cité dans "The History Of Photography" par Beaumont Newhall
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