CO-FONDATEUR DE L’AGENCE PARISIENNE DE COMMUNICATION “ELDORADO”

Vous êtes directeur artistique, vous concevez des campagnes publicitaires pour vos clients, mais comment êtes-vous amené à leur soumettre également la création ou la remise à jour de leur logo ?
Si vous voulez que je vous raconte des histoires très récentes dans ma vie professionnelle qui sont significatives pour moi et le logo, ce sera les Galeries Lafayette d’abord et le logo Bennetton que j’ai refait aussi. Ce sont deux philosophies complètement différentes, qui sont opposées si vous voulez, des marques très fortes qui existaient depuis longtemps et qui avaient besoin de changement. L’un… en fait les deux, je les ai provoqués.

Quand on était en prospection pour les Galeries Lafayette, notre recommandation était le changement de logo, parce que pour moi c’était primordial, la reconnaissance c’était la chose la plus importante; quand on ferait une pub, qu’elle soit vraiment attribuée aux Galeries Lafayette. Ils n’avaient pas de logo, ils avaient une typo et j’ai dit dès le début que ce n’était pas un logo. Le Printemps avait un logo, il avait une petite fleur qui était dans la tête de tout le monde. Les Galeries Lafayette n’avaient rien.
Nous sommes parti d’un concept qui était: “le magasin le plus mode”… du monde en fait. Vous demandez dans le monde entier et c’est ici… surtout à Paris, en France, et pour les étrangers aussi (la clientèle est à 30% étrangère), c’est le grand magasin le plus mode. C’est pourquoi on a dit:”La mode est là !”
Et pour moi la mode c’était écrit à la main, être créateur. Donc c’était mettre sur un grand magasin, avec un grand immeuble, des étages, du business et tout çà, un truc léger. J’avais toujours le logo dans la tête, et je l’ai fait très vite. J’ai d’abord écrit Galeries Lafayette, tout à la main plusieures fois, et puis j’ai mis “galeries” en typo comme vous le connaissez, et le truc est resté comme çà. J’ai juste rajouté après la tour Eiffel. J’essayais de rajouter un truc quelque part, un accident. J’ai cherché des étoiles, des machin-trucs… Çà je l’ai fait après. Mais je trouve que Paris pour moi était tellement fort pour ce qui est de la mode, Paris et la France, ou la province, parce qu’il y a 18 magasins en province. Pour les étrangers ici, quand ils ramènent un sac à New York avec la tour Eiffel, (il n’y avait pas de magasin à New York à l’époque) c’était pour moi un truc et je l’ai rajouté avec les deux T. Çà c’est venu après. Mais c’était là à la première présentation.
D’ailleurs la présentation on l’a faite avec un document grand comme çà (environ 10 cm) avec quatre bouts collés sur une carte postale je crois et on a dit: “c’est celui là”, et quand il a fallu vraiment le faire on a juste bougé deux petites merdes. C’était la recommandation de l’agence. On ne jouait qu’avec çà, avec les sacs et çà, et ils ont compris, et c’était fantastique. Mais c’était un vrai pari, parce que nous avons dit:” s’il n’y a pas de logo on ne peut rien faire”, parce que c’est le noyau, c’est la chose la plus importante pour eux. Il y a tous les jours 50 000 sacs ou je ne sais pas combien qui sortent et là dessus il y a le logo, c’est de la vraie pub. C’est l’histoire la plus fantastique que j’ai vécu. Dans mon métier quand vous faites quelque chose que vous voyez partout tout de suite. J’ai fais des logos pour des petits mecs, après çà dure… vous les voyez trois fois… mais là, une fois qu’il a été accepté, c’était sur tous les sacs, sur toutes les étiquettes, les papiers, toutes les annonces, tous les catalogues et partout tout le temps. L’enseigne, on a pas pu la changer parce que c’était vraiment trop cher de tout faire en même temps. Les camions ils les ont repeints. Le n’ai jamais fait un logo qui ce voyait autant. Incroyable.

Avez vous tenu compte au moment de la création du logo de tous les supports sur lesquels il serait utilisé ?
Çà, ce n’est pas un problème. Je suis vraiment de ce métier parce que j’ai fait une école en Suisse, donc tout ce qui est logo, applications, pour moi c’est basique, je n’y pense pas avant, on se démerde après. Si on le lis ou pas, tout çà c’est pas mon problème. Çà c’est des faux problèmes, je trouve. On ne peut pas dire “est-ce que çà se lira”, ou “est-ce que c’est possible”… C’est pas çà. C’est d’abord le “truc” et après il faut l’adapter.
Vous n’avez tenu aucun compte de ce qui existait précédemment ?
Non, parce qu’il n’y avait rien. Il n’y avait qu’à tenir compte que de la personnalité du grand magasin, c’est tout, du passé du grand magasin.
Est-ce qu’il est courant en Europe qu’une agence de publicité fasse de la création de logo ?
Non, non. Même en France il y a des studios spécialisés pour les logos, mais je les trouve toujours un peu bloqués. Mais çà c’est très personnel, parce que j’ai étudié tout çà. C’est pour çà que je le fais, que j’ose le faire, parce que j’ai une vision. Faire un logo c’est plus une philosophie que faire une forme, qui n’est juste que le résultat à la fin. Et le contraire c’est souvent ce que font les dits studios de designers, ils cherchent des formes, et c’est pas çà. Bon, évidement ils partent d’une philosophie, mais c’est du graphisme, ils mettent six mois pour le faire, un an et c’est pas çà. Vous le faite, clac, comme çà, une idée, je ne crois pas qu’on peut chercher six mois un logo, c’est pas vrai, ou vous connaissez mal le client, la personnalité du mec en face.
Le client doit tout de même donner son avis, il peut donc rejeter un certain nombre de choses....
Non, bien sûr il peut ne pas l’accepter, mais si vous voulez, celui là [les Galeries Lafayette] était tellement dans toute notre stratégie de communication intégrée, c’était le noyau.
Cette stratégie, c’est vous qui l’avez élaborée, le logo et le reste…
Tout à fait. Mais on est parti du logo, on est parti du logo.
Utilisez vous des études de marché, des statistiques…
Je crois que çà ne sert à rien. je vais être très dur parce que je trouve çà nul, et je vais vous dire pourquoi: c’est parce que c’est une question de feeling les logos. Vous aimez le rouge, moi j’aime le bleu. Même si les gens disent bleu, si vous aimez le rouge c’est çà qui fait votre personnalité. Si vous faites bleu comme tout le monde dit, tout le monde est bleu et il n’y a plus rien. Tout le monde test et c’est nul. Surtout pour des logos. C’est un truc que quelqu’un achète parce qu’il aime, pas parce que c’est testé.
De toute façon si vous avez un petit feeling, si c’est votre métier… ce que j’ai fait pour les Galeries Lafayettte, jamais je ne l’aurais fait pour le Printemps, jamais je ne l’aurais fait pour la Samaritaine, c’est un truc qui vient du ventre, c’est très personnel. C’est votre vécu qui vous fait faire un truc, parce que vous sentez les choses…
On peut se tromper, c’est sûr, parce qu’il faut être deux, un qui fait et l’autre qui achète, tout et là…
Oui, une étude de marché sert peut être plus souvent à donner des arguments pour vendre que pour aider la création…
Oui, mais çà ne m’intéresse pas. Çà ne me fait rien changer si quelqu’un me dit: “C’est pas lisible, les deux T on ne voit pas que c’est”…je m’en fous. C’est la spontanéité, le vrais vécu. Si je vous dis “Volkswagen”, vous avez un truc en tête, vous n’allez pas l’écrire à la main. Vous voyez ce que je veux dire ? C’est des trucs de notre métier. Pour Hermès vous ne faites pas un truc en béton. C’est des choses évidentes. Pour moi ce sont des choses évidentes.
Le rouge du logo des Galeries Lafayette par exemple vous l’avez choisi pourquoi ?
Si je vous le raconte, les mecs des studios vont rigoler. Avec “Lafayette” écrit à la main et “Galeries” en rouge, il y a une petite modernité qui me paraît juste. Vous avez un sac noir avec “Lafayette” écrit en blanc et “Galeries” en rouge, vous enlevez le rouge, c’est chic, si vous rajoutez le rouge, tac, il y a un peu d’actualité. C’est un tout petit truc comme çà. On peut parler pendant deux heures du rouge du logo, mais moi je n’ai pas besoin. Le rouge est nécessaire parce que çà retire le côté chiant du chic.

Pour en venir à Bennetton, il y a un logo vieux de quinze ans et qui est très reconnaissable. Moi depuis quatre ou cinq ans je disais à Lucianno Bennetton: “tu ne peux pas l’améliorer un peu, le moderniser un peu ?” Quand ils ont pris la décision il y a deux ans de faire une recherche pour un nouveau logo, ils ont sélectionné trois studios des plus connus, un à San Francisco, un à Londres, eux mêmes ils ont cherché, tout le monde à essayé de faire des logos pour Bennetton. Gros projet. Un jour Lucianno m’appelle, il me dit: “viens à Londres, ils nous présentent les recherches qu’ils ont faites”. Je vais à Londres, on regarde les trucs, à la fin de la réunion le mec me demande mon avis et je dis: “lamentable”. C’était du graphisme. On attendait pas du graphisme. Les mecs n’avaient pas compris. Ils ont tout fait, toutes les typos du monde, toutes les formes du monde, mais ils ont oublié le fond, qui était une philosophie.
Ils ont retravaillé… rien compris. Pour moi hein. Et tout ce que j’ai dit à Lucianno c’est: “Si c’est des trucs comme çà, il vaut mieux ne pas changer, il vaut mieux garder l’ancien. Il est bien, il ne dérange pas. Si on arrive pas à l’améliorer…” il me dit: “Okay, on ne bouge pas”.
Un jour, j’étais chez eux, en Italie pour regarder leur collection de vêtements. Ils avaient fait des étiquettes de couleur avec notre base line, notre titre: United Colors of Bennetton, dessus, avec les références derrière, au lieux de mettre un logo dessus. Moi j’arrache une étiquette et je vais voir Bennetton: “Si tu veux changer le logo, tu mets ta philosophie sur le logo, tu mets ‘United Colors of Bennetton’,” -“c’est pas trop long ?” -“Non, parce qu’il faut l’écrire en condensé. Le même vert, la même forme, au lieu des coins ronds, des coins carrés parce que c’est un peu plus moderne et çà dans la typo la plus neutre, Tu veux voir ?” Je suis descendu, ils ont un ordinateur, on l’a fait, il l’a vu, il a dit: “Okay, on fait çà”.
Tout çà pour vous expliquer que c’est une philosophie, c’est pas du graphisme. Le graphisme est joli ou pas mais le nouveau logo c’est autre chose. C’est peut être le premier logo avec la philosophie vraiment intégrée dedans, qui est exprimée: United Colors of Bennetton, c’est pas seulement Bennetton. Et je crois que c’est juste. De loin c’est Bennetton, et quand vous regardez: ah, United Colors of Bennetton.
Quand ils ont fait la maquette des premières enseignes, j’ai dis: plus large, plus haut. Çà c’est fait en cinq minutes.
Bennetton, c’est quelqu’un avec qui Eldorado a une relation suivie depuis longtemps…
Oui, Lucianno était important dans la décision, mais c’est la philosophie que nous avons montée ici dans l’agence pendant sept ans… pour moi c’était évident ce qu’il fallait faire. ce n’était pas seulement faire plus joli, ou plus moderne, c’était pas çà. C’était apporter vraiment quelque chose. C’est pas comme Coca Cola qui améliore tous les cinq, dix ans, qui ajuste un peu…
…en changeant de studio à chaque fois d’ailleurs. Il y a une longue liste de personnes différentes qui revendiquent la paternité du logo Coca Cola.
C’est çà. Alors là, les Galeries Lafayettes, personne ne peut. C’est moi qui l’ai fait là, tout seul. Bennetton personne ne peut. C’est moi qui ai arraché l’étiquette, il n’y a personne d’autre qui est intervenu.
La démarche est très drôle, et courageuse en même temps, parce que rationnellement le nouveau logo Bennetton pour moi c’est louche quelque part, c’est pas du design, c’est rien, je ne sais pas comment vous dire, c’est juste une touche, il n’y a pas d’esthétique dedans. Il n’y a rien a dire, vous ne pouvez pas dire: il est joli, c’est çà qui me plaît.
On pouvait le dire du précédent. On pouvait parler de graphisme…
Absolument, mais là vous ne pouvez pas. C’est pour çà qu’on a changé aussi. Il faisait vieux. Le nôtre ne peut jamais faire vieux. Il ne peut pas être vieux, il est comme çà. C’est une typo qui n’a pas de forme, la couleur c’est celle de Bennetton, que j’ai été obligé de prendre pour ne pas bouleverser tout, tout le temps. C’est çà le problème avec les studios souvent. Ils pensent comme des fous. Je ne vous donne pas les noms, mais c’était de grands studios. Il n’y en a pas un qui ait fait une petite évolution de l’ancien logo. Ils ont tous eu la folie de la créativité, pour rien. C’est çà qui est décevant. Vous voyez des grands noms qui vous présentent 500 charts et pas une n’est juste. Ils auraient pu dire: “faut juste le coin… le vert devrait être juste un poil…”
De temps en temps il faut ne pas être trop créatif.
C’est comme si vous embauchiez un cuisinier pour préparer un dîner chez vous. Vous lisez tous les bouquins, trois jours de préparation, les meilleurs ingrédients, cartons d’invitation et tout. Le dîner arrive, vous vous habillez bien, vous vous asseyez, on vous sert le truc et c’est à côté, le mec s’est planté. Il dit: “mais c’est superbe, j’ai tous les ingrédients qui sont superbes, tout est juste, j’ai tout mis…” mais le miracle n’est pas là. Voilà. C’est là qu’il y a de vraies différences avec les gens qui pensent, je ne dis même pas qui sont intelligents, mais qui ont de vrais feelings. Pourquoi certains cuisiniers font un vrai chef d’œuvre avec un poulet, et dans le bistro à côté c’est immangeable ? C’est la même chose pour les logos. Au départ les données sont les mêmes pour tout le monde, mais après c’est ce que chacun a à l’intérieur qui fait la différence.
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